Page:Sand - Mauprat.djvu/231

Cette page a été validée par deux contributeurs.

triomphe de mon rival. J’avais l’intime persuasion qu’elle l’aimait ; j’étais résolu à étouffer mon amour ; je promettais plus que je ne pouvais tenir, mais les premiers effets de l’orgueil blessé me donnaient confiance en moi-même. J’écrivis aussi à mon oncle pour lui dire que je ne me croirais pas digne des bontés illimitées qu’il avait eues pour moi tant que je n’aurais pas gagné mes éperons de chevalier. Je l’entretenais de mes espérances de gloire et de fortune guerrière avec toute la naïveté de mon orgueil, et, comme je pensais bien qu’Edmée lirait cette lettre, j’affectais une joie sans trouble et une ardeur sans regret. Je ne savais pas si mon oncle avait connaissance des vrais motifs de mon départ ; mais ma fierté ne put se soumettre à les lui avouer. Il en fut de même à l’égard de l’abbé, auquel j’écrivis, d’ailleurs, une lettre pleine de reconnaissance et d’affection. Je terminais en suppliant mon oncle de ne faire aucune dépense à mon intention au triste donjon de la Roche-Mauprat, assurant que je ne pourrais jamais me résoudre à l’habiter, et de considérer le fief racheté par lui comme la propriété de sa fille. Je lui demandais seulement de vouloir bien m’avancer deux ou trois années de revenu de ma part, afin que je pusse faire les frais de mon équipement, et ne pas rendre onéreux pour le noble La Fayette mon dévouement à la cause américaine.

On fut content de ma conduite et de mes lettres. Arrivé sur les côtes d’Espagne, je reçus de mon oncle une lettre pleine d’encouragements et de doux reproches sur mon brusque départ. Il me donnait sa bénédiction paternelle, déclarait sur son honneur que le fief de la Roche-Mauprat ne serait jamais repris par Edmée et m’envoyait une somme considérable sans toucher à mon futur revenu. L’abbé joignait aux mêmes reproches des encouragements plus chauds encore. Il était facile de voir qu’il préférait le