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mais je n’ai pas juré d’être à vous en dépit de tout. Si vous continuez à être indigne de mon estime, je saurai rester libre. Mon pauvre père décline vers la tombe ; un couvent sera mon asile quand le seul lien qui m’attache à la société sera rompu. » Ainsi j’avais rempli les conditions imposées par Edmée, et, pour toute récompense, elle me prescrivait de les rompre. Je me trouvais au même point que le jour de son entretien avec l’abbé.

Je passai le reste de la journée enfermé dans ma chambre ; toute la nuit, je marchai avec agitation ; je n’essayai pas de dormir. Je ne vous dirai pas quelles furent mes réflexions ; elles ne furent pas indignes d’un honnête homme. Au point du jour, j’étais chez La Fayette. Il me procura les papiers nécessaires pour sortir de France. Il me dit d’aller l’attendre en Espagne, où il devait s’embarquer pour les États-Unis. Je rentrai à l’hôtel pour prendre les effets et l’argent indispensables au plus modeste voyageur. Je laissai un mot pour mon oncle, afin qu’il ne s’inquiétât pas de mon absence, que je promettais de lui expliquer avant peu dans une longue lettre. Je le suppliais de ne pas me juger jusque-là, et de croire que ses bontés ne sortiraient jamais de mon cœur.

Je partis avant que personne fût levé dans la maison ; je craignais que ma résolution ne m’abandonnât au moindre signe d’amitié, et je sentais que j’avais abusé d’une affection trop généreuse. Je ne pus passer devant l’appartement d’Edmée sans coller mes lèvres sur la serrure ; puis, cachant ma tête dans mes mains, je me mis à courir comme un fou ; je ne m’arrêtai guère que de l’autre côté des Pyrénées. Là, je pris un peu de repos, et j’écrivis à Edmée qu’elle était libre, et que je ne contrarierais aucune de ses résolutions, mais qu’il m’était impossible d’être témoin du