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ma naissance, me demanda à mes parents, s’engageant, si on le laissait absolument maître de mon éducation, à me constituer son héritier. Mon père fut tué par accident à la chasse à cette époque, et mon grand-père refusa l’offre du chevalier, déclarant que ses enfants étaient les seuls héritiers légitimes de la branche cadette, qu’il s’opposerait, par conséquent, de tout son pouvoir à une substitution en ma faveur. C’est alors que Hubert eut une fille. Mais lorsque, sept ans plus tard, sa femme mourut en lui laissant ce seul enfant, le désir qu’avaient les nobles de cette époque de perpétuer leur nom l’engagea à renouveler sa demande à ma mère. Je ne sais ce qu’elle répondit ; elle tomba malade et mourut. Les médecins de campagne mirent encore en avant la colique de miserere. Mon grand-père était demeuré chez elle les deux derniers jours qu’elle passa en ce monde…

Versez-moi un verre de vin d’Espagne, car je sens le froid qui me gagne. Ce n’est rien, c’est l’effet que me produisent mes souvenirs quand je commence à les dérouler. Cela va se passer.


Il avala un grand verre de vin, et nous en fîmes autant ; car nous avions froid aussi en regardant sa figure austère et en écoutant sa parole brève et saccadée. Il continua :


Je me trouvai donc orphelin à sept ans. Mon grand-père pilla dans la maison de ma mère tout l’argent et toutes les nippes qu’il put emporter ; puis, laissant le reste et disant qu’il ne voulait point avoir affaire aux gens de loi, il n’attendit pas que la morte fût ensevelie, et, me prenant par le collet de ma veste, il me jeta sur la croupe de son cheval, en me disant :

— Ah çà ! mon pupille, venez chez nous, et tâchez de