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faisais un grand sacrifice en renonçant à lui, seriez-vous assez généreux pour me rendre ma parole ?

J’eus un instant d’hésitation ; une sueur froide parcourut mon corps. Je la regardais fixement ; son œil impénétrable ne trahissait pas sa pensée. Si j’avais cru qu’elle m’aimât et qu’elle soumit ma vertu à une épreuve, j’aurais peut-être joué l’héroïsme ; mais je craignis un piège ; la passion l’emporta. Je ne me sentais pas la force de renoncer à elle de bonne grâce, et l’hypocrisie me répugnait. Je me levai tremblant de colère.

— Vous l’aimez, m’écriai-je, avouez que vous l’aimez !

— Et quand cela serait, répondit-elle en mettant le papier dans sa poche, où serait le crime ?

— Le crime serait d’avoir menti jusqu’ici en me disant que vous ne l’aimiez pas.

— Jusqu’ici est beaucoup dire, reprit-elle en me regardant fixement ; nous n’avons pas eu d’explication à cet égard depuis l’année passée. À cette époque, il était possible que je n’aimasse pas beaucoup Adhémar, et, à présent, il serait possible que je l’aimasse mieux que vous. Si je compare la conduite de l’un et de l’autre aujourd’hui, je vois d’un côté un homme sans orgueil et sans délicatesse, qui se prévaut d’un engagement que mon cœur n’a peut-être pas ratifié ; de l’autre, je vois un admirable ami, dont le dévouement sublime brave tous les préjugés, et, me croyant souillée d’un affront ineffaçable, n’en persiste pas moins à couvrir cette tache de sa protection.

— Quoi ! ce misérable croit que je vous ai fait violence, et il ne me provoque pas en duel ?

— Il ne le croit pas, Bernard ; il sait que vous m’avez fait évader de la Roche-Mauprat, mais il croit que vous m’avez secourue trop tard et que j’ai été victime des autres brigands.