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était sur ses genoux, ses pieds étaient sur les chenets, ses coudes sur les bras de son fauteuil dans son attitude favorite de rêverie. Elle était complètement absorbée. Je lui parlai doucement ; elle ne m’entendit pas. Je crus qu’elle avait oublié la lettre et qu’elle s’endormait. Au bout d’un quart d’heure, le domestique rentra, et demanda, de la part du messager, s’il y avait une réponse.

— Certainement, répondit-elle ; qu’il attende.

Elle relut la lettre avec une attention extraordinaire et se mit à écrire avec lenteur ; puis elle jeta au feu sa réponse, repoussa du pied son fauteuil, fit quelques tours dans l’appartement, et tout d’un coup s’arrêta devant moi et me regarda d’un air froid et sévère.

— Edmée, m’écriai-je en me levant avec impétuosité, qu’avez-vous donc et quel rapport avec moi peut avoir cette lettre qui vous préoccupe si fortement ?

— Qu’est-ce que cela vous fait ? répondit-elle.

— Qu’est-ce que cela me fait ! m’écriai-je. Et que me fait l’air que je respire ? que m’importe qui coule dans mes veines ? Demandez-moi cela, à la bonne heure ! mais ne me demandez pas en quoi une de vos paroles ou un de vos regards m’intéresse, car vous savez bien que ma vie en dépend.

— Ne dites pas des folies, Bernard, reprit-elle en retournant à son fauteuil d’un air distrait : Il y a temps pour tout.

— Edmée ! Edmée ! ne jouez pas avec le lion endormi, ne rallumez pas le feu qui couve sous la cendre.

Elle haussa les épaules et se mit à écrire avec beaucoup d’animation. Son teint était coloré, et, de temps en temps, elle passait ses doigts dans ses longs cheveux bouclés en repentir sur son épaule. Elle était dangereusement belle dans ce désordre ; elle avait l’air d’aimer : mais qui ? celui-