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Quand le salon était vide, nous restions quelques instants en famille au coin du feu avant de nous séparer. C’est le moment où l’on sent le besoin de résumer ses impressions éparses et de les communiquer à des êtres sympathiques. L’abbé rompait donc les mêmes lances que moi contre mon oncle et ma cousine. Le chevalier, galant admirateur du beau sexe, qu’il n’avait jamais beaucoup pratiqué, prenait, en vrai chevalier français, la défense de toutes les beautés que nous attaquions impitoyablement. Il accusait, en riant, l’abbé de raisonner à l’égard des femmes comme le renard de la fable à l’égard des raisins. Moi, je renchérissais sur les critiques de l’abbé ; c’était une manière de dire avec chaleur à Edmée combien je la préférais à toutes les autres ; mais elle en paraissait plus scandalisée que flattée, et me reprochait sérieusement cette disposition à la malveillance, qui prenait sa source, disait-elle, dans un immense orgueil.

Il est vrai qu’après avoir généreusement embrassé la défense des personnes mises en cause, elle se rangeait à notre opinion dès que, Rousseau en main, nous lui disions que les femmes du monde avaient à Paris un air cavalier et une manière de regarder un homme en face qui n’est pas tolérable aux yeux d’un sage. Edmée ne savait rien objecter quand Rousseau avait prononcé ; elle aimait à reconnaître avec lui que le plus grand charme d’une femme est dans l’attention intelligente et modeste qu’elle donne aux discours graves et je lui citais toujours la comparaison de la femme supérieure avec un bel enfant aux grands yeux pleins de sentiment, de douceur et de finesse, aux questions timides, aux objections pleines de sens, afin qu’elle se reconnût dans ce portrait, qui semblait avoir été tracé d’après elle. Je renchérissais sur le texte, et, continuant le portrait :

— Une femme vraiment supérieure, lui disais-je en la