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qu’il s’en débita à cette époque parmi les castes soi-disant éclairées.

Il était nécessaire de vous rappeler ceci pour vous faire comprendre l’admiration que j’eus d’abord pour un monde en apparence si désintéressé, si courageux, si ardent à la poursuite de la vérité ; le dégoût que je ressentis bientôt pour tant d’affectation et de légèreté, pour un tel abus des mots les plus sacrés et des convictions les plus saintes. J’étais de bonne foi pour ma part, et j’appuyais ma ferveur philosophique, ce sentiment de la liberté nouvellement révélé qu’on appelait alors le culte de la raison, sur les bases d’une inflexible logique. J’étais jeune et bien constitué, condition première peut-être de la santé du cerveau ; mes études n’étaient pas étendues, mais elles étaient solides ; on m’avait servi des aliments sains et d’une digestion facile. Le peu que je savais me servait donc à voir que les autres ne savaient rien ou qu’ils mentaient à eux-mêmes.

Il ne vint pas beaucoup de monde dans les commencements chez le chevalier. Ami d’enfance de M. Turgot et de plusieurs hommes distingués, il ne s’était point mêlé à la jeunesse dorée de son temps, il avait vécu sagement à la campagne après s’être loyalement conduit à la guerre. Sa société se composait donc de quelques graves hommes de robe, de plusieurs vieux militaires et de quelques seigneurs de sa province, vieux et jeunes, à qui une fortune honnête permettait, comme à lui, de venir passer à Paris un hiver sur deux ; mais il avait conservé de lointaines relations avec un monde plus brillant, où la beauté et les excellentes manières d’Edmée furent remarquées dès qu’elle y parut. Fille unique, convenablement riche, elle fut recherchée par les importantes maîtresses de maison, espèce d’entremetteuses de haut lieu qui ont toujours quelques jeunes