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en Amérique, que Voltaire recevait son apothéose à Paris, et que Franklin, prophète d’une religion politique nouvelle, apportait au sein même de la cour de France la semence de la liberté. La Fayette préparait secrètement sa romanesque expédition, et la plupart des jeunes patriciens étaient entraînés par la mode, par la nouveauté et par le plaisir inhérent à toute opposition qui n’est pas dangereuse.

L’opposition revêtait des formes plus graves et faisait un travail plus sérieux chez les vieux nobles et parmi les membres des parlements ; l’esprit de la ligue se retrouvait dans les rangs de ces antiques patriciens et de ces fiers magistrats, qui d’une épaule soutenaient encore pour la forme la monarchie chancelante, et de l’autre prêtaient un large appui aux envahissements de la philosophie. Les privilégiés de la société donnaient ardemment les mains à la ruine prochaine de leurs privilèges, par mécontentement de ce que les rois les avaient restreints. Ils élevaient leurs fils dans des principes constitutionnels, s’imaginaient qu’ils allaient fonder une monarchie nouvelle où le peuple les aiderait à se replacer plus haut que le trône ; et c’est pour cela que les plus grandes admirations pour Voltaire et les plus ardentes sympathies pour Franklin furent exprimées dans les salons les plus illustres de Paris.

Une marche si insolite, et, il faut le dire, si peu naturelle, de l’esprit humain, avait donné une impulsion toute nouvelle, une sorte de vivacité querelleuse aux relations froides et guindées des vestiges de la cour de Louis XIV. Elle avait aussi mêlé des formes sérieuses et donné une apparence de fond aux frivoles manières de la régence. La vie pure, mais effacée, de Louis XVI, ne comptait pas et n’imposait rien à personne ; jamais on ne vit tant de grave babil, tant de maximes creuses, tant de sagesse d’apparat, tant d’inconséquences entre les paroles et la conduite,