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trui m’empêcha moi-même de m’élever au-dessus de ceux que je croyais désormais m’être inférieurs. Je ne voyais pas que la société est faite d’éléments de peu de valeur, mais que leur arrangement est si savant et si solide, qu’avant d’y mettre la moindre pièce il faut être reçu praticien. Je ne savais pas qu’il n’y a pas de milieu dans cette société entre le rôle de grand artiste et celui de bon ouvrier. Or, je n’étais ni l’un ni l’autre, et, s’il faut dire vrai, toutes mes idées n’ont jamais abouti à m’affranchir de la routine, toute ma force ne m’a servi qu’à réussir à grand’peine à faire comme les autres.

Ainsi, en peu de semaines, je passai d’un excès d’admiration à un excès de dédain pour la société. Dès que j’eus saisi le sens de ses ressorts, ils me parurent si misérablement poussés par une génération débile que l’attente de mes maîtres fut déçue sans qu’ils s’en doutassent. Au lieu de me sentir dominé et de chercher à m’effacer dans la foule, je m’imaginai que je pourrais la dominer quand je voudrais, et je m’entretins secrètement dans des rêves dont le souvenir me fait rougir. Si je ne me rendis pas souverainement ridicule, c’est grâce à l’excès même de cette vanité, qui eût craint de se commettre en se manifestant.

Paris offrait alors un spectacle que je n’essayerai pas de vous retracer, parce que vous l’avez sans doute étudié maintes fois avec avidité dans les excellents tableaux qu’en ont tracés des témoins oculaires, sous forme d’histoire générale ou de mémoires particuliers. D’ailleurs, une telle peinture sortirait des bornes de mon récit, et j’ai promis seulement de vous raconter le fait capital de mon histoire moral et philosophique. Pour que vous vous fassiez une idée du travail de mon esprit à cette époque, il suffira de vous dire que la guerre de l’indépendance éclatait