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sentir, c’était grâce au respect qu’il inspirait à juste titre et à la tendresse qu’il avait pour sa fille. Je me jetai à plein collier, comme vous pouvez croire, dans les idées d’Edmée ; mais je n’eus pas, comme elle, la délicatesse de me taire à point. La violence de mon caractère trouvant une issue dans la politique et dans la philosophie, je goûtais un plaisir indicible à ces orageuses disputes qui préludaient alors en France, dans toutes les réunions et jusque dans le sein des familles, aux tempêtes révolutionnaires. Je pense qu’il n’était pas une maison, palais ou cabane, qui ne nourrît alors son orateur, âpre, bouillant, absolu, et prêt à descendre dans la lice parlementaire. J’étais donc l’orateur du château de Sainte-Sévère, et mon bon oncle, habitué à une apparence d’autorité qui l’empêchait de voir la révolte réelle des esprits, ne put souffrir une contradiction aussi ingénue que la mienne. Il était fier et bouillant, et, de plus, il avait une difficulté à s’exprimer qui augmentait son impatience naturelle, et qui lui donnait de l’humeur contre les autres, à force de lui en donner contre lui-même. Il frappait du pied sur les bûches enflammées de son foyer. Il mettait en pièces ses verres de lunettes, il répandait son tabac à grands flots sur le parquet et faisait retentir des éclats de sa voix sonore les hauts plafonds de son manoir. Tout cela me divertissait cruellement ; car, d’un mot tout fraîchement épelé dans mes livres, je renversais le fragile échafaudage des idées de toute sa vie. C’était une grande sottise et un fort sot orgueil de ma part mais ce besoin de lutte, ce plaisir de déployer intellectuellement l’énergie qui manquait à ma vie physique, m’emportaient sans cesse. En vain Edmée toussait pour m’avertir de me taire, et s’efforçait, pour sauver l’amour-propre de son père, de trouver, contre sa propre conscience, quelque raison en sa faveur ; la tiédeur de son assistance et l’espèce de conces-