de direction occulte sur mes études ; elle voulut que l’on ne m’enseignât pas le latin, assurant qu’il était trop tard pour consacrer plusieurs années à une science de luxe, et que l’important était de former mon cœur et ma raison avec des idées, au lieu d’orner mon esprit avec des mots.
Le soir, elle prétextait le désir de relire quelque livre favori, et elle lisait haut, alternativement avec l’abbé, des passages de Condillac, de Fénelon, de Bernardin de Saint-Pierre, de Jean-Jacques, de Montaigne même et de Montesquieu. Ces passages étaient certainement choisis d’avance et appropriés à mes forces ; je les comprenais assez bien, et je m’en étonnais en secret ; car, si dans la journée j’ouvrais ces mêmes livres au hasard, il m’arrivait d’être arrêté à chaque ligne. Dans la superstition naturelle aux jeunes amours, je m’imaginais volontiers qu’en passant par la bouche d’Edmée les auteurs acquéraient une clarté magique, et que mon esprit s’ouvrait miraculeusement au son de sa voix. Du reste, Edmée ne me montrait pas ouvertement l’intérêt qu’elle prenait à m’instruire elle-même. Elle se trompait sans doute en pensant qu’elle devait me cacher sa sollicitude ; j’en eusse été d’autant plus stimulé et ardent au travail. Mais en ceci elle était imbue de l’Émile, et mettait en pratique les idées systématiques de son cher philosophe.
Au reste, je ne m’épargnai guère, et, mon courage ne souffrant pas la prévoyance, je fus bientôt forcé de m’arrêter. Le changement d’air, de régime et d’habitudes, les veilles, l’absence d’exercices violents, la contention de l’esprit, en un mot l’effroyable révolution que mon être était forcé d’opérer sur lui-même pour passer de l’état d’homme des bois à celui d’homme intelligent, me causa une maladie de nerfs qui me rendit presque fou pendant quelques semaines, idiot ensuite durant quelques jours, et