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Je voulais le faire souffrir, et j’y réussis. Le dépit m’inspirait ; je me conduisis en véritable gentilhomme vis-à-vis de son subalterne. J’eus une excellente tenue, beaucoup d’attention, de politesse et une roideur glacée. Je ne lui laissai aucune occasion de me faire rougir de mon ignorance ; et, pour cela, je pris le parti d’aller au-devant de toutes ses observations, en m’accusant moi-même de ne rien savoir et en l’engageant à m’enseigner les choses à l’état le plus élémentaire. Quand j’eus pris ma première leçon, je vis dans ses yeux pénétrants, où j’étais arrivé à pénétrer moi-même, le désir de passer de cette froideur à une sorte d’intimité ; mais je ne m’y prêtai nullement. Il crut me désarmer en louant mon attention et mon intelligence.

— Vous prenez trop de soin, monsieur l’abbé, lui répondis-je ; je n’ai pas besoin d’encouragement. Je ne crois nullement à mon intelligence, mais je suis sûr de mon attention ; et, comme je ne rends service qu’à moi-même en m’appliquant de mon mieux à l’étude, il n’y a pas de raison pour que vous m’en fassiez compliment.

En parlant ainsi, je le saluai, et me retirai dans ma chambre, où je fis tout de suite le thème français qu’il m’avait donné.

Quand je descendis pour le déjeuner, je vis qu’Edmée était déjà informée de l’exécution de mes promesses de la veille. Elle me tendit sa main la première, et m’appela son bon cousin à plusieurs reprises durant le déjeuner, si bien que M. de La Marche, dont le visage n’exprimait jamais rien, exprima de la surprise ou quelque chose d’approchant. J’espérais qu’il chercherait l’occasion de me demander l’explication de mes grossières paroles de la veille, et, quoi que je fusse déterminé à apporter beaucoup de modération à cet entretien, je me sentis très blessé du soin