— Voilà de très généreux sentiments, Edmée, répondit l’abbé. Mais avec quelle chaleur vous les exprimez ! J’en demeure confondu, et, si je ne craignais de vous offenser, je vous avouerais que cette sollicitude pour le jeune Mauprat me suggère une étrange pensée.
— Eh bien ! dites-la donc, reprit Edmée avec une certaine brusquerie.
— Je la dirai si vous l’exigez ; c’est que vous semblez porter à ce jeune homme un plus vif intérêt qu’à M. de La Marche, et j’aurais aimé à rester dans la persuasion contraire.
— Lequel a le plus besoin de cet intérêt, mauvais chrétien ? dit Edmée en souriant ; n’est-ce pas le pécheur endurci dont les yeux n’ont pas vu la lumière ?
— Mais enfin, Edmée, vous aimez M. de La Marche ? Ne plaisantez pas, au nom du ciel !
— Si par aimer, répondit-elle d’un ton sérieux, vous entendez avoir confiance et amitié, j’aime M. de La Marche ; ou bien, si vous entendez avoir compassion et sollicitude, j’aime Bernard. Reste à savoir laquelle des deux affections est la plus vive. Cela vous regarde, l’abbé ; moi, je m’en inquiète peu ; car je sens que je n’aime qu’une personne avec passion, c’est mon père, et qu’une chose avec enthousiasme, c’est mon devoir. Je regretterai peut-être les soins et le dévouement du lieutenant général ; je souffrirai du chagrin que je serai forcée de lui faire bientôt, en lui annonçant que je ne puis être sa femme ; mais cette nécessité ne me jettera dans aucune nuance de désespoir, parce que je sais que M. de La Marche se consolera aisément… Je ne plaisante pas, l’abbé ; M. de La Marche est un homme léger et un peu froid.
— Si vous ne l’aimez pas plus que cela, tant mieux !