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mère en fille, les Mauprat sont vouées au baptême sous les auspices de la patronne du Berry.

— Oui, je sais que vous êtes fière et forte, dit l’abbé ; et, parce que je vous estime plus qu’aucune femme au monde, je veux que vous viviez, que vous soyez libre, que vous fassiez un mariage digne de vous, afin de remplir, dans la famille humaine, le rôle que savent encore ennoblir les belles âmes. Vous êtes nécessaire à votre père, d’ailleurs ; votre mort le précipiterait dans la tombe, tout vert et tout robuste qu’est encore le Mauprat. Chassez donc ces pensées lugubres et ces résolutions extrêmes. Il est impossible que cette aventure de la Roche-Mauprat soit autre chose qu’un rêve sinistre. Nous avons tous eu le cauchemar dans cette nuit d’épouvante, mais il est temps de nous éveiller ; nous ne pouvons rester accablés de stupeur comme des enfants ; vous n’avez qu’un parti à prendre, celui que je vous ai dit.

— Eh bien ! l’abbé, c’est celui que je regarde comme le plus impossible de tous. J’ai juré par tout ce qu’il y a de plus sacré dans l’univers et dans le cœur humain.

— Un serment arraché par la menace et la violence n’engage personne, les lois humaines l’ont décrété ; les lois divines, dans des circonstances de ce genre principalement, en délient sans nul doute la conscience humaine. Si vous étiez orthodoxe, j’irais à Rome, et j’irais à pied, pour vous faire relever d’un vœu si téméraire ; mais vous n’êtes pas soumise au pape, Edmée…, ni moi non plus.

— Ainsi, vous voudriez que je fusse parjure ?

— Votre âme ne le serait pas.

— Mon âme le serait ! j’ai juré, sachant bien ce que je faisais, et pouvant me tuer sur l’heure ; car j’avais dans la main un couteau trois fois grand comme celui-ci. J’ai voulu vivre, j’ai voulu surtout revoir mon père et l’em-