passer alternativement l’ombre des feuilles agitées et les pâles diamants que la lune sème dans les bois.
— Je dis, Edmée, reprit l’abbé en croisant ses bras sur sa poitrine et en se frappant le front par instants, que vous ne jugez pas nettement votre situation. Tantôt elle vous afflige au point que vous perdez toute espérance et que vous voulez vous laisser mourir (oui, ma chère enfant, au point que votre santé en est visiblement altérée), et tantôt, je dois vous le dire, au risque de vous fâcher un peu, vous envisagez vos périls avec une légèreté et un enjouement qui m’étonnent.
— Ce dernier reproche est délicat, mon ami, répondit-elle ; mais laissez-moi me justifier. Votre étonnement vient de ce que vous ne connaissez pas bien la race Mauprat. C’est une race indomptable, incorrigible, et dont il ne peut sortir que des casse-têtes ou des coupe-jarrets. À ceux que l’éducation a le mieux rabotés, il reste encore bien des nœuds : une fierté souveraine, une volonté de fer, un profond mépris pour la vie. Vous voyez que, malgré sa bonté adorable, mon père est si vif parfois qu’il casse sa tabatière en la posant sur la table, lorsque vos arguments l’emportent sur les siens en politique, ou lorsque vous gagnez aux échecs. Pour moi, je sens que mes veines sont aussi larges que si j’étais née dans les nobles rangs du peuple, et je ne crois pas que jamais aucun Mauprat ait brillé à la cour par la grâce de ses manières. Comment donc voudriez-vous que je fisse grand cas de la vie, étant née brave ? Il est pourtant des instants de faiblesse où je me décourage de reste et m’apitoie sur mon sort comme une vraie femme que je suis. Mais que l’on me fâche, que l’on me menace, et le sang de la race forte se ranime ; et alors, ne pouvant briser mon ennemi, je me croise les bras et me mets à rire de pitié de ce qu’il espère me faire peur. Tenez, l’abbé,