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si distincts, ma passion et mes intérêts. J’errai dans le parc en proie à mille incertitudes, et je gagnai la campagne sans m’en apercevoir. La nuit était magnifique. La pleine lune versait des flots de sa lumière sereine sur les guérets altérés par la chaleur du jour. Les plantes flétries se relevaient sur leur tige, chaque feuille semblait aspirer par tous ses pores l’humide fraîcheur de la nuit. Je ressentais aussi cette douce influence ; mon cœur battait avec force, mais avec régularité. J’étais inondé d’une vague espérance ; l’image d’Edmée flottait devant moi sur les sentiers des prairies, et n’excitait plus ces douloureux transports, ces fougueuses aspirations qui m’avaient dévoré.

Je traversais un lieu découvert où quelques massifs de jeunes arbres coupaient çà et là les verts steppes des pâturages. De grands bœufs d’un blond clair, agenouillés sur l’herbe courte, immobiles, paraissaient plongés dans de paisibles contemplations. Des collines adoucies montaient vers l’horizon, et leurs croupes veloutées semblaient jouer dans les purs reflets de la lune. Pour la première fois de ma vie, je sentis les beautés voluptueuses et les émanations sublimes de la nuit. J’étais pénétré de je ne sais quel bien-être inconnu ; il me semblait que, pour la première fois aussi, je voyais la lune, les coteaux et les prairies. Je me souvenais d’avoir entendu dire à Edmée qu’il n’y avait pas de plus beau spectacle que celui de la nature, et je m’étonnais de ne l’avoir pas su jusque-là. J’eus par instants la pensée de me mettre à genoux et de prier Dieu ; mais je craignais de ne pas savoir lui parler et de l’offenser en le priant mal. Vous avouerai-je une singulière fantaisie qui me vint comme une révélation enfantine de l’amour poétique au sein du chaos de mon ignorance ? La lune éclairait si largement les objets que je distinguais dans le gazon les moindres fleurettes. Une petite marguerite des prés