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prit en rapport avec la nouvelle position où vous êtes entré en quittant la Roche-Mauprat ; quand vous aurez reconnu cette nécessité, vous me le direz, et alors nous prendrons plusieurs résolutions nécessaires.

Elle retira doucement sa main d’entre les miennes, et je crois qu’elle me dit bonsoir, mais je ne l’entendis pas. Je restai absorbé dans mes pensées, et, quand je relevai la tête pour lui parler, elle n’était plus là. J’allai à la chapelle ; elle était rentrée dans sa chambre par une tribune supérieure qui communiquait avec ses appartements.

Je retournai dans le jardin, je m’enfonçai dans le parc, et j’y restai toute la nuit. Ma conversation avec Edmée m’avait jeté dans un monde nouveau. Jusque-là, je n’avais pas cessé d’être l’homme de la Roche-Mauprat, et je n’avais pas prévu que je pusse ou que je dusse cesser de l’être ; sauf les habitudes qui avaient changé avec les circonstances, j’étais resté dans le cercle étroit de mes pensées. Au sein de toutes les choses nouvelles qui m’environnaient, je me sentais blessé de leur puissance réelle, et je roidissais ma volonté en secret, afin de ne pas me sentir humilié. Je crois qu’avec la persévérance et la force dont j’étais doué, rien n’eût pu me faire sortir de ce retranchement d’obstination, si Edmée ne s’en fût mêlée. Les biens vulgaires de la vie, les satisfactions du luxe, n’avaient pour moi d’autre charme que celui de la nouveauté. Le repos du corps me pesait, et le calme de cette maison, pleine d’ordre et de silence, m’eût écrasé, si la présence d’Edmée et l’orage de mes désirs ne l’eussent remplie de mes agitations et peuplée de mes fantômes. Je n’avais pas désiré un seul instant devenir le chef de cette maison, le maître de cette fortune, et je venais, avec plaisir, d’entendre Edmée rendre justice à mon désintéressement. Cependant je répugnais encore à l’idée d’associer deux buts