Page:Sand - Mauprat.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toiture et vendre tous les bois de charpente ; puis, comme s’il eût voulu donner un soufflet à la mémoire de ses ancêtres, il fit jeter à terre le portail, éventrer la tour du nord, fendre du haut en bas le mur d’enceinte, et partit avec ses ouvriers, secouant la poussière de ses pieds, et abandonnant son domaine aux renards, aux orfraies et aux vipères. Depuis ce temps, quand les bûcherons et les charbonniers qui habitent les huttes éparses aux environs passent dans la journée sur le haut du ravin de la Roche-Mauprat, ils sifflent d’un air arrogant ou envoient à ces ruines quelque énergique malédiction ; mais, quand le jour baisse et que l’engoulevent commence à glapir du haut des meurtrières, bûcherons et charbonniers passent en silence, pressant le pas, et, de temps en temps, font un signe de croix pour conjurer les mauvais esprits qui règnent sur ces ruines.

J’avoue que, moi-même, je n’ai jamais côtoyé ce ravin, la nuit, sans éprouver un certain malaise ; et je n’oserais pas affirmer par serment que, dans certaines nuits orageuses, je n’aie pas fait sentir l’éperon à mon cheval pour en finir plus vite avec l’impression désagréable que me causait ce voisinage.

C’est que, dans mon enfance, j’ai placé le nom de Mauprat entre ceux de Cartouche et de la Barbe-Bleue, et qu’il m’est souvent arrivé alors de confondre, dans des rêves effrayants, les légendes surannées de l’Ogre et de Croquemitaine avec les faits tout récents qui ont donné une sinistre illustration, dans notre province, à cette famille des Mauprat.

Souvent, à la chasse, lorsque mes camarades et moi, nous quittions l’affût pour aller nous réchauffer au tas de charbons allumés que les ouvriers surveillent toute la nuit, j’ai entendus ce nom fatal expirer sur leurs lèvres