Page:Sand - Mauprat.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.

êtes, je ne vous crains pas. Je pouvais, lorsque vous me paraissiez bon et généreux, vous céder moitié par peur et moitié par sympathie ; mais, du moment que je ne vous aime plus, je ne vous crains pas davantage. Corrigez-vous, instruisez-vous, et nous verrons.

— Fort bien, lui dis-je ; voilà une promesse que j’entends. J’agirai en conséquence, et, ne pouvant être heureux, je serai vengé.

— Vengez-vous tant qu’il vous plaira, dit-elle ; cela fera que je vous mépriserai.

Elle tira, en parlant ainsi, un papier de son sein, et le brûla tranquillement à la flamme de sa bougie.

— Qu’est-ce que vous faites là ? lui dis-je.

— Je brûle une lettre que je vous avais écrite, répondit-elle. Je voulais vous faire entendre raison, mais c’est bien inutile ; on ne s’explique pas avec les brutes.

— Vous allez me donner cette lettre ! m’écriai-je en me jetant sur elle pour lui arracher le papier enflammé.

Mais elle le retira brusquement, et, l’éteignant dans sa main avec intrépidité, elle jeta le flambeau à mes pieds et s’échappa dans les ténèbres. Je la poursuivis en vain. Elle gagna la porte de son appartement avant moi et la poussa sur elle. J’entendis tirer les verrous, et la voix de Mlle  Leblanc qui demandait à sa jeune maîtresse la cause de sa frayeur.

— Ce n’est rien, répondit la voix tremblante d’Edmée ; c’est une espièglerie.

Je descendis au jardin, et j’arpentai les allées d’un pas effréné. À cette fureur succéda la plus profonde tristesse. Edmée, fière et audacieuse, me paraissait plus belle et plus désirable que jamais. Il est de la nature de tous les désirs de s’irriter et de s’alimenter de la résistance. Je sentis que je l’avais offensée, qu’elle ne m’aimait pas, qu’elle ne m’ai-