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Edmée avait bu à cette source vive avec toute l’avidité d’une âme ardente. Dans ses rares voyages à Paris, elle avait recherché les âmes sympathiques à la sienne. Mais, là, elle avait trouvé tant de nuances, si peu d’accord, et surtout, malgré la mode, tant de préjugés indestructibles, qu’elle s’était rattachée avec amour à sa solitude et à ses poétiques rêveries sous les vieux chênes de son parc. Elle parlait déjà de ses déceptions, et refusait avec un bon sens au-dessus de son âge, et peut-être de son sexe, toutes les occasions de se mettre en rapport direct avec des philosophes dont les écrits faisaient sa vie intellectuelle.

— Je suis un peu sybarite, disait-elle en souriant. J’aime mieux respirer un bouquet de rose préparé pour moi dès le matin dans un vase que d’aller le chercher au milieu des épines et à l’ardeur du soleil.

Ce qu’elle disait de son sybaritisme n’était, d’ailleurs, qu’une figure. Élevée aux champs, elle était forte, active, courageuse, enjouée : elle joignait à toutes les grâces de la beauté délicate toute l’énergie de la santé physique et morale. C’était une fière et intrépide jeune fille autant qu’une douce et affable châtelaine. Je l’ai trouvée souvent bien haute et bien dédaigneuse ; Patience et les pauvres de la contrée l’ont toujours trouvée humble et débonnaire.

Edmée chérissait les poètes presque autant que les philosophes spiritualistes ; elle se promenait toujours un livre à la main. Un jour qu’elle avait pris le Tasse, elle rencontra Patience, et selon sa coutume, il s’enquit avec curiosité et de l’auteur et du sujet. Il fallut qu’Edmée lui fît comprendre les croisades : ce ne fut pas le plus difficile. Grâce aux récits de l’abbé et à sa prodigieuse mémoire des faits, Patience connaissait passablement le canevas de l’histoire universelle. Mais ce qu’il eut de la peine à saisir, ce fut le rapport et la différence de la poésie épique à l’histoire.