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Mauprat est bien changée depuis ces derniers temps ?

— Elle est maigre, répondit le lieutenant général ; mais je crois qu’elle n’en est que plus belle.

— Oui ; mais je crains qu’elle ne soit plus malade qu’elle ne l’avoue, répartit l’abbé. Son caractère est aussi changé que sa figure ; elle est triste.

— Triste ? Mais il me semble qu’elle n’a jamais été aussi gaie que ce matin ; n’est-il pas vrai, monsieur Bernard ? C’est depuis la promenade seulement qu’elle s’est plainte d’avoir un peu de migraine.

— Je vous dis qu’elle est triste, reprit l’abbé. Quand elle est gaie maintenant, elle l’est plus que de raison ; il y a en elle quelque chose d’étrange alors et de forcé, qui n’est pas du tout dans sa manière d’être accoutumée. Puis un instant après, elle retombe dans une mélancolie que je n’avais jamais remarquée avant la fameuse nuit de la forêt. Soyez sûr que les émotions de cette nuit ont été graves.

— Elle a été témoin, en effet, d’une scène affreuse à la tour Gazeau, dit M. de la Marche ; et puis cette course de son cheval à travers la forêt, lorsqu’elle a été emportée loin de la chasse, a dû la fatiguer et l’effrayer beaucoup. Cependant elle est douée d’un courage si admirable !… Dites-moi, cher monsieur Bernard, lorsque vous la rencontrâtes dans la forêt, vous parut-elle très épouvantée ?

— Dans la forêt ? repris-je. Je ne l’ai point rencontrée dans la forêt.

— Non, c’est dans la Varenne que vous l’avez rencontrée, dit l’abbé avec précipitation… À propos, monsieur Bernard, voulez-vous bien me permettre de vous dire un mot d’affaires en particulier sur votre propriété de…

Il m’entraîna hors du salon, et me dit à voix basse :

— Il ne s’agit pas d’affaires ; je vous supplie de ne laisser soupçonner à qui que ce soit, pas même à M. de la Marche,