Page:Sand - Mauprat.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pitoyable état de sa toilette. Il faisait extrêmement chaud, et nous étions séchés avant la fin de la promenade ; mais Edmée demeura triste et préoccupée. Il me sembla qu’elle faisait effort pour me montrer autant d’amitié que pendant le déjeuner. J’en fus affecté ; car je n’étais pas seulement amoureux d’elle, je l’aimais. Il m’eût été impossible de faire cette distinction ; mais les deux sentiments étaient en moi : la passion et la tendresse.

Le chevalier et l’abbé rentrèrent à l’heure du dîner. Ils s’entretinrent à voix basse avec M. de la Marche du règlement de mes affaires, et, au peu de mots que j’entendis malgré moi, je compris qu’ils venaient d’assurer mon existence dans les conditions brillantes qui m’avaient été annoncées le matin. J’eus la mauvaise honte de ne point en témoigner naïvement ma reconnaissance. Cette générosité me troublait, je n’y comprenais rien ; je m’en méfiais presque comme d’une embûche qu’on me tendait pour m’éloigner de ma cousine. Je n’étais pas sensible aux avantages de la fortune. Je n’avais pas les besoins de la civilisation, et les préjugés nobiliaires étaient chez moi un point d’honneur, nullement une vanité sociale. Voyant qu’on ne me parlait pas ouvertement, je pris le parti peu gracieux de feindre une complète ignorance.

Edmée devint toujours plus triste. Je remarquai que ses regards se portaient alternativement sur M. de la Marche et sur moi avec une inquiétude vague. Toutes les fois que je lui adressais la parole, ou même que j’élevais la voix en parlant aux autres personnes, elle tressaillait, puis elle fronçait légèrement le sourcil, comme si ma voix lui eût causé une douleur physique. Elle se retira aussitôt après le dîner ; son père la suivit avec inquiétude.

— Ne remarquez-vous pas, dit l’abbé, en les voyant s’éloigner et en s’adressant à M. de la Marche, que Mlle de