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n’est là qu’un joli ruisseau. Chemin faisant, il se rendit agréable de mille manières ; il n’apercevait pas une violette, qu’il ne la cueillit pour l’offrir à ma cousine. Mais, quand nous arrivâmes au bord du ruisseau, nous trouvâmes la planche sur laquelle on le traversait et cet endroit rompue et emportée par les orages des jours précédents. Alors je pris Edmée dans mes bras sans lui en demander la permission, et je traversai tranquillement. J’avais de l’eau jusqu’à la ceinture, et je portais ma cousine à bras tendus avec tant de force et de précision qu’elle ne mouilla pas un de ses rubans. M. de la Marche, ne voulant pas paraître plus délicat que moi, n’hésita pas à mouiller ses beaux habits et à me suivre avec des éclats de rire un peu forcés ; mais, quoiqu’il ne portât aucun fardeau, il trébucha plusieurs fois sur les pierres dont le lit de la rivière était encombré et ne nous rejoignit qu’avec peine. Edmée ne riait pas ; je crois qu’en faisant malgré cette épreuve de ma force et de ma hardiesse, elle fut très effrayée de songer à l’amour qu’elle m’inspirait. Elle était même irritée, et me dit, lorsque je la déposai doucement sur le rivage :

— Bernard, je vous prie de ne jamais recommencer de pareilles plaisanteries.

— Ah ! bon, lui dis-je, vous ne vous en fâcheriez pas de la part de l’autre.

— Il ne se le permettrait pas, reprit-elle.

— Je le crois bien, répondis-je, il s’en garderait ! Regardez comme le voilà fait… Et, moi, je ne vous ai pas dérangé un cheveu. Il ramasse très bien les violettes ; mais, croyez-moi, dans un danger, ne lui donnez pas la préférence.

M. de la Marche me fit de grands compliments sur cet exploit. J’avais espéré qu’il serait jaloux ; il ne parut pas seulement y songer, et prit son parti gaiement sur le