Page:Sand - Mauprat.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cabinet, et je me rassis, espérant que ma cousine allait renvoyer sa duègne et me parler. Mais elles échangèrent quelques paroles tout bas ; la duègne resta, et deux mortelles heures s’écoulèrent sans que j’osasse bouger de ma chaise. Je crois qu’Edmée dormait réellement. Quand la cloche sonna le dîner, son père revint me prendre, et, avant de quitter son appartement, il lui dit de nouveau :

— Eh bien ! avez-vous causé ?

— Oui, mon bon père, répondit-elle avec une assurance qui me confondit.

Il me parut prouvé, d’après cette conduite de ma cousine, qu’elle s’était jouée de moi et que, maintenant, elle craignait mes reproches. Et puis l’espérance me revint lorsque je me rappelai le ton dont elle avait parlé de moi avec Mlle Leblanc. J’en vins même à penser qu’elle craignait les soupçons de son père, et qu’elle n’affectait une grande indifférence que pour m’attirer plus sûrement dans ses bras quand le moment serait venu. Dans l’incertitude, j’attendis. Mais les jours et les nuits se succédèrent sans qu’aucune explication arrivât et sans qu’aucun message secret m’avertît de prendre patience. Elle descendait au salon une heure le matin ; le soir, elle venait dîner et jouait au piquet ou aux échecs avec son père. Pendant tout ce temps, elle était si bien gardée que je n’aurais pas même pu échanger un regard avec elle ; le reste du jour, elle était inabordable dans sa chambre. Plusieurs fois, voyant que je m’ennuyais de l’espèce de captivité où j’étais forcé de vivre, le chevalier me dit :

— Va causer avec Edmée, monte à sa chambre, dis-lui que c’est moi qui t’envoie.

Mais j’avais beau frapper, sans doute on m’entendait venir et on me reconnaissait à mon pas incertain et lourd.