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et souffris de ma grossièreté sans pouvoir m’en rendre compte. Pour comble de malheur, à un mouvement que je fis, le couteau que j’avais pris pour camarade de lit tomba aux pieds de M. de Mauprat, qui le ramassa, le regarda, et me regarda ensuite avec une extrême surprise. Je devins rouge comme le feu et balbutiai je ne sais quoi. Je m’attendais à des reproches pour cette insulte faite à son hospitalité ; mais il était trop poli pour pousser plus loin l’explication. Il posa tranquillement le couteau sur la cheminée, et, revenant à moi, il me parla ainsi :

— Bernard, je sais maintenant que je vous dois la vie de ce que j’ai de plus cher au monde. Toute la mienne sera consacrée à vous prouver ma reconnaissance et mon estime. Ma fille aussi a contracté envers vous une dette sacrée. N’ayez donc aucune inquiétude pour votre avenir. Je sais à quelles persécutions et à quelles vengeances vous vous êtes exposé pour venir à nous ; mais je sais aussi à quelle affreuse existence mon amitié et mon dévouement sauront vous soustraire. Vous êtes orphelin, et je n’ai pas de fils. Voulez-vous m’accepter pour votre père ?

Je regardai le chevalier avec des yeux égarés. Je ne pouvais en croire mes oreilles. Toute impression était paralysée chez moi par la surprise et la timidité. Il me fut impossible de répondre un mot ; le chevalier éprouva lui-même un peu de surprise, il ne s’attendait pas à trouver une nature aussi brutalement inculte.

— Allons, me dit-il, j’espère que vous vous accoutumerez à nous. Donnez-moi seulement une poignée de main pour me prouver que vous avez confiance en moi. Je vais vous envoyer votre domestique : commandez-lui tout ce que vous voudrez, il est à vous. J’ai seulement une promesse à exiger de vous, c’est que vous ne sortirez pas de l’enceinte du parc d’ici à ce que j’aie pris des mesures pour