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XVIII

— Enfin ! se dit Marianne en reprenant au pas le chemin de sa demeure, il me semble que je vois clair à présent. J’ai bien cru qu’il ne m’aimerait jamais ! Ne l’a-t-il pas pensé et écrit, que le mariage était un tombeau, et que jamais il ne se contenterait d’un bonheur paisible et sûr ? Pourtant il a du chagrin en me voyant hésiter ; quel singulier caractère et comme il doute de tout !

Marianne rentra et s’enferma dans sa chambre, en proie à une agitation qu’elle n’avait jamais éprouvée. Elle était très-sincère vis-à-vis d’elle-même ; elle reconnut que sa rencontre avec Philippe l’avait un peu troublée et qu’en se laissant aller à l’instinct, elle pouvait ressentir quelque plaisir à se voir apprécier par cet inconnu.

— Ces gens décidés ne se font-ils pas connaître tout de suite, pensait-elle, et ne faut-il pas leur savoir gré de vous épargner les tourments de l’hésitation ? Pierre a du respect pour moi, c’est flatteur et c’est bon ; mais n’en a-t-il pas trop ? Veut-il donc que je fasse les avances ? est-ce qu’il n’est pas dans l’ordre des choses que l’homme ait l’initiative ?

Marianne se sentait poussée et comme réclamée par un penchant très-logique et très-vrai, celui qui porte le sexe faible à estimer avant tout, dans le sexe fort, les résolutions qui caractérisent la virilité. Elle avait tressailli d’aise lorsque Pierre avait saisi avec autorité la bride de son cheval pour la retenir ; mais Philippe n’eût pas lâché prise, elle le sentait bien, et Pierre n’avait eu qu’une velléité de courage. Pourtant ces deux larmes