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rêvé de me faire épouser ta chère petite voisine ! D’où vient que tu ne m’en as jamais dit un mot ?

— Je t’en ai dit un mot, et même plusieurs mots, que tu n’as pas voulu entendre.

— Quand donc ? Je jure que je ne m’en souviens pas.

— C’est qu’il y a déjà longtemps, il y a six ans maintenant. C’est au dernier voyage que tu as fait chez nous avant la mort de ton pauvre père. Tu avais alors un peu d’argent comptant. Nous souhaitions te marier pour te garder au pays. Marianne avait vingt ans. Elle n’était pas orpheline, indépendante et riche comme elle l’est à présent. Ce mariage était encore possible.

— Et à présent il ne l’est plus, répondit vivement Pierre ému. Je suis plus âgé et plus pauvre que je ne l’étais ; je ne lui conviendrais pas. Je t’en prie, ma bonne mère, ne m’expose jamais à l’humiliation d’être refusé par cette personne réfléchie et dédaigneuse ; ne lui parle jamais de moi ! J’espère que tu ne lui en as jamais parlé ?

— Si fait, quelquefois.

— Et elle a répondu ?…

— Rien ! Marianne ne répond jamais quand sa réponse peut l’engager.

— C’est vrai, j’ai remarqué cela. Elle est d’une prudence… qui a pour moi quelque chose d’horrible ! Une femme du monde, lancée, coquette, décevante,… cela se conçoit, elle veut des adorateurs ; mais une fille de campagne qui ne veut pas qu’un mari calcule et se tient bien autrement, c’est un bloc de glace qui ne fond sous aucun soleil.

— Tais-toi, la voilà qui arrive, dit madame André, qui avait fort bien remarqué le dépit douloureux de son fils. N’ayons pas l’air de la blâmer.