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curiosité dont l’objet est Marianne. Je suis troublé et anxieux. Marianne est la sérénité en personne. De quel droit passe-t-elle devant moi comme un reproche et une ironie sans daigner deviner que je suis là, sans pressentir que je peux être malheureux ? Certainement elle n’est pas armée, comme je devrais l’être, de philosophie et d’expérience ; elle est une enfant auprès de moi, aucune lutte n’a éprouvé ses forces, aucune déception n’a flétri son esprit.

« Eh bien, mon Dieu ! c’est justement pour cela qu’elle est plus forte. Elle n’a rien perdu d’elle-même, elle n’a pas été mangée par les loups et les vautours : elle est intacte et vit de toute sa vie ; quelque peu intense que soit sa flamme intérieure, elle lui suffit, et ce qui m’en reste, à moi, ne sert plus qu’à me consumer. »

VII

Pierre ferma son carnet et le remit dans sa poche. Il demeura quelques instants en contemplation devant les libellules qui se poursuivaient sur les eaux frissonnantes du ruisseau. Il remarqua l’affinité qui existe entre les ailes de ces beaux insectes et la couleur irisée des eaux courantes. Il trouva aussi une relation entre le mouvement des petits flots et les gracieuses saccades du vol de l’insecte. Il rouvrit son carnet, ébaucha quelques vers assez jolis, où il appelait les libellules filles du ruisseau et âmes des fleurs ; puis, haussant les épaules, il biffa sa poésie et reprit le chemin de Dolmor en se disant qu’il avait fait une promenade sans profit et sans plaisir, mais au moins sans fatigue et sans contrainte. Cela valait toujours mieux que les longues courses autrefois fournies à travers la puanteur et la poussière de