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laide. Dans ta dernière lettre, tu m’as fait l’éloge de sa conduite aimable avec ta mère, et, puisqu’elle n’est pas encore mariée, je pense que mon fils lui conviendra.

« Donc, mon cher ami, je t’envoie mon Philippe pour huit jours. Il sera chez toi le 7 de ce mois. Il ne répugne point au mariage, mais il ne voudrait pas d’une femme laide et mal élevée. Il verra chez toi Marianne Chevreuse, et, si elle ne lui déplaît pas, tu pourras engager l’affaire pendant son séjour ou aussitôt après son départ. Je compte sur ta vieille affection, à charge de revanche. »


Pourquoi cette lettre si bourgeoise et si simple causa-t-elle à Pierre André une vive irritation ? D’abord il trouva que M. Jean Gaucher agissait fort cavalièrement avec lui. Gaucher était riche, et pourtant, dans ses jours de pire détresse, Pierre ne s’était jamais senti assez lié avec lui pour lui demander la moindre assistance. Peut-être ce vieux ami de ses jeunes ans eût-il pu deviner sans trop d’efforts que Pierre manquait de tout et lui offrir au moins un emploi convenable dans sa maison. En homme pratique, Gaucher s’était bien gardé d’y songer, sous prétexte que Pierre était un homme trop instruit et trop distingué pour ne pas trouver mieux.

Pierre ne lui devait donc aucune reconnaissance et le trouvait indiscret de lui envoyer un hôte qui probablement lui saurait peu de gré de son hospitalité, et ne le dédommagerait pas intellectuellement de la perte de ses journées. Il connaissait fort peu le jeune homme, et, bien qu’il le tutoyât pour l’avoir vu tout petit, il n’éprouvait pour lui aucune sympathie. Il lui avait toujours trouvé trop d’aplomb pour son âge. En outre, il ne l’avait pas vu depuis trois ou quatre ans et ne se trouvait pas assez renseigné sur son compte pour l’endosser auprès d’une fille à marier quelconque, à plus forte raison auprès de Marianne, qu’il respectait comme une personne irréprochable et à laquelle l’attachaient la sym-