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Et, pour le savoir, elle s’empara d’Abel comme la veille et le taquina avec beaucoup de malice et de séduction. Je remarquai qu’il faisait un peu d’effort pour lui répondre, et que cette note de la « parole humaine » résonnait parfois à son oreille comme une langue étrangère. Il porta plusieurs fois son verre à ses lèvres, comme s’il eût eu besoin d’un stimulant. Peu à peu il s’anima, et fit encore assaut de reparties coquettes avec ma sœur. Comme la veille, Adda fut étincelante : mais tout à coup elle éprouva un dépit mortel. Elle paraissait avoir l’étrange fantaisie de le griser, et, comme il s’en défendait, elle eut l’imprudence de lui dire :

— Eh bien, si vous êtes gris, tant mieux ! vous ne pourrez pas nous parler en musique ce soir. Abel prit son verre et l’enfouit dans le seau à glace placé près de lui en disant :

— Je suis venu pour votre père et pour votre sœur ; si vous ne comprenez pas ce que je leur dirai en musique, ce sera tant pis pour vous !

Et, lorsqu’il m’offrit son bras pour sortir de table, il me dit :

— Vous avez une sœur bien jolie, mais, grand Dieu ! qu’elle est ennuyeuse ! Je vous demande pardon, j’ai l’esprit en horreur, et, quand on me contraint à jouer de cet instrument-là, il me semble qu’on me condamne à moudre un air sur l’orgue de Barbarie.

Il parlait comme à dessein un peu haut, et je crois