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ce que vous appelez vivre avec toute l’intensité possible. Admettons que ce soit le suprême bonheur ; ce bonheur vient de Dieu, et vous n’avez pas le droit de dire : « J’en ai assez, je veux aller voir dans l’autre vie s’il y a davantage. » Si vous dites cela, c’est que vous croyez un peu à une autre vie. Moi qui y crois tout à fait, je dis que, si vous y arrivez épuisé de cœur et d’esprit, vous vous y trouverez moins haut placé, et que ce sera justice. Vous allez me dire que votre corps seulement sera brisé par vos fatigues, et que l’âme ne s’en portera que mieux : c’est un paradoxe, c’est un mensonge ; les forces morales s’épuisent avec les forces physiques, vous le savez bien.

— Je ne le sais pas, je le jure, s’écria-t-il, et je ne le crois pas, je ne l’ai jamais éprouvé. Quand la fatigue me brise, le repos a une vertu souveraine qui me rend à moi-même, plus fort qu’auparavant. Il y a des excès ignobles qui peuvent souiller l’âme, je ne saurais y tomber ; ceux qui me plaisent, les veilles joyeuses, l’excès de production cérébrale, les courses démesurées, les enivrements de l’amour, du travail, de l’expansion universelle, de l’enthousiasme et de l’excitation, ne m’ont jamais laissé ni honte ni remords. Je ne me connais pas de passions mauvaises, ni haine, ni envie, ni cupidité. Dans tout, je vois, je cherche, je saisis un idéal, et je veux l’épuiser, certain qu’il se renouvellera. Non, le véritable artiste ne se détériore