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à en réclamer un meilleur, puisque je n’en avais pas à moi. J’ai été élevé je ne sais où, je ne sais par qui ; je n’ai de ma première enfance que des souvenirs confus ; c’est vous dire que personne ne m’a aimé. Un professeur de chant m’a ramassé dans la rue et a voulu faire de moi un ténor. J’avais une voix magnifique, et il comptait sur ma fortune pour relever la sienne. Il fit de moi un musicien, mais il ne put me persuader de me ménager. J’abusai de ma voix, qui me charmait moi-même. Elle me quitta. Le violon me consola : c’était une voix qui chantait comme je voulais et ne s’épuisait pas ; mais mon bienfaiteur ne savait pas le violon, et il me mit à la porte. Je ne le regrettai pas, je n’étais pour lui qu’un instrument dont il voulait jouer. Je gagnai ma vie dans les rues et sur les chemins. Je jouai pour les paysans, pour les saltimbanques, pour les amateurs, pour qui voulait de moi moyennant quelques sous. J’ai pu enfin voir Paris, où je suis arrivé pieds nus et où j’ai raclé des journées entières dans les cours des hôtels et des maisons pour avoir de quoi entrer le soir dans un théâtre lyrique. J’ai tout appris seul. J’ai travaillé comme un possédé. J’avais dix-neuf ans quand j’ai été remarqué dans un café-concert et engagé dans un orchestre. À partir de là, cinq ans de vicissitudes et de luttes, enfin le triomphe, la pluie d’or, les diamants, les honneurs, les voyages, le tapage, la rage de vivre et de voir, les ovations, les invita-