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tourait, et j’y ai acquis du moins la connaissance de cette race à part qui vit d’excitations ardentes et perpétuelles. Je pourrais vous dire aussi que, dans ma carrière d’avocat, j’ai ressenti des émotions analogues, et que je n’ai jamais pu me trouver en contact avec l’émotion du public sans être en proie à la fièvre. On eût pu alors taxer d’exagération ma parole, mon attendrissement, mon indignation, mes affirmations passionnées. Pourtant, je vous le jure, jamais je n’ai été plus sincère et plus convaincu que dans ces moments-là, et, comme je suis un honnête homme, je vous jure aussi que, sans conviction intime et profonde, je n’eusse pu trouver en moi la puissance de convaincre mon auditoire. Les avocats sont des artistes, et voilà pourquoi je comprends les artistes comme si je vivais en eux. Il ne leur faut pas plus qu’à nous un nombreux public pour s’exalter jusqu’à la fièvre. Il suffit d’un petit auditoire intelligent ; il suffit parfois d’une oreille sympathique ou récalcitrante pour susciter ce déchaînement d’un fleuve toujours plein et toujours en lutte. Abel vous a paru étrange ; je ne lui reprocherais qu’une chose, moi : c’est d’être trop normal et de ressembler trop à tous les artistes en possession de leur puissance et de leur succès.

— Je comprends, répondis-je, et je n’en suis pas moins persuadée que ces hommes-là ne peuvent aimer sérieusement personne. Ne comparez pas votre ancienne profession, si utile et si sérieuse,