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Je descendis au jardin, et je me rappelai que c’était le jour et l’heure précise où expirait l’année d’épreuve que j’avais imposée à Abel. Il avait dit : « Si vous ne me renvoyez pas ce brin d’herbe que je viens de mettre à votre doigt, où que vous soyez, à pareil jour, vous me verrez apparaître. » J’avais renvoyé le brin d’herbe, je ne reverrais jamais celui qui me l’avait donné, je ne devais pas désirer le revoir. Tout était fini dans ma vie. Il y avait eu de sa faute et peut-être aussi de la mienne ; peut-être aurais-je dû encore lui pardonner. Ce qui m’en avait empêchée, c’était la crainte qu’il ne me fît une vie misérable et déconsidérée au point de me rendre incapable et indigne de remplir mes devoirs de famille. Et maintenant voilà que je n’avais plus de famille, ma sœur me chassait d’auprès d’elle, les enfants ne me connaîtraient bientôt plus. Je ne pourrais les préserver d’aucun mal, d’aucun danger. Je n’étais plus utile à personne et j’avais pour récompense de mon éternel dévouement l’éternelle solitude !… J’arrivai au bout de l’allée qui longeait la Meuse et revis le banc où j’avais reçu les serments d’Abel. J’étais au bout de mes forces, je me laissai tomber par terre, et, la tête appuyée sur le banc, je pleurai comme pleurent les personnes qui ont lutté de toutes leurs forces contre le désespoir, mais qui se trouvent à la fin vaincues et comme écrasées par lui. Ce n’était plus la belle et pure soirée où les étoiles miroitaient dans la rivière et où le flot sou-