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de suicide, et on m’attribua l’honneur de l’avoir poussé au désespoir.

» J’ai su cela par une lettre de ma cousine de Nice, car j’étais déjà au Francbois, certaine d’y avoir bientôt des nouvelles de mon fugitif. Il est de règle que, quand un homme n’a pas réussi à trahir son amante, il court auprès d'elle pour lui jurer qu’il l’a toujours adorée. Abel devait se retrouver à vos pieds.

» Vous avez bien envie de me demander pourquoi, ayant repoussé Abel à Monaco, je venais ici pour le revoir. Je vous le dirai ; avec vous, je serai franche comme avec un miroir. Abel m’a émue, je dirai plus, il m’a troublée. Sa colère, sa souffrance, son indignation lors de sa défection à Monaco, ont fait entrer mon esprit dans une phase nouvelle. C’est un état inconnu que je ne puis bien définir encore. Je n’aime pas, je ne dois pas aimer, mon avenir serait perdu. Il faut que j’arrive vierge de cœur et de conduite au souverain que je veux dominer. J’ai d’autant plus de force pour me défendre que j’en suis venue à comprendre certains dangers. J’ai vu Abel furieux, prêt à me frapper et me maudissant avec une énergie vraiment dramatique. C’est le plus beau mouvement de passion qui se soit produit devant moi. En ce moment-là, un vertige m’a prise. S’il eût fait un pas, je tombais dans ses bras ; mais les hommes sont trop simples pour faire jamais à propos ce pas-là, et il faut vous dire que ce