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mençaient à se couvrir de boutons roses. La pluie avait fait merveille. La sève gonflée voulait éclater partout. Le soleil devenait chaud, l’herbe séchait à vue d’œil. Les moutons et les chèvres, à qui on défendait encore le libre pâturage, broutaient dans des attitudes charmantes le bord des clôtures. On voyait passer des oiseaux avec un brin de paille dans le bec en prévision de la famille. Nous nous arrêtâmes près d’une maisonnette où on nous offrit du poisson, du lait, des œufs et du cidre. Nous fîmes un excellent repas sur de beaux quartiers de marbre au bord de l’eau, à l’ombre fine et transparente des mélèzes. Je vivrais mille ans que je n’oublierais pas cette suave matinée dans un lieu adorable, avec Abel heureux, aussi pur dans son sentiment pour moi que le ciel qui nous protégeait. Notre querelle de la veille avait emporté toutes nos craintes mutuelles, nous ne pensions plus, nous n’avions plus de souvenirs, encore moins d’appréhensions. Le bonheur d’être ensemble se fixait dans notre âme comme une destinée accomplie, comme un droit, on eût dit comme une habitude consacrée. Chose singulière, je ne me demandais plus comment un étranger avait pu s’emparer de toutes mes affections et les résumer ainsi en lui seul. C’était un fait qui me paraissait tout simple, et je ne sais comment j’y aurais échappé. Je regardais Abel, je ne l’examinais plus, je le contemplais. Je ne sais ce qu’étaient devenus mes doutes sur l’avenir ; mes efforts pour