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Si mademoiselle d’Ortosa avait eu le dessein de bouleverser mon esprit et de briser mon cœur, elle y avait donc réussi. La folle avait troublé la raisonnable, l’insensible avait ému la dévouée : n’était-ce pas dans l’ordre ? Je m’efforçai de réagir, et, tout en revenant à cheval à travers les bois et les collines, j’élevai mon âme vers celui qui représente dans nos pensées l’idéale justice et l’infatigable amour. Je ne sais, ma chère amie, si la raison peut prouver Dieu, mais il est des heures d’effroi amer où toutes les choses de la vie nous oppriment. À ces heures-là, une bonne conscience sent Dieu en elle, et elle le sent si profondément et si vivement, qu’elle se passe aisément d’autre preuve.

Je rentrai chez moi résignée à souffrir et à me sacrifier, s’il le fallait. Je n’étais peut-être pas née pour être heureuse autrement. Tout était cependant remis en question dans ma vie, et le grand effort que j’avais fait pour accepter Abel avec les fatalités et les entraînements de son sort et de son caractère ne me servirait peut-être plus de rien. Si ma sœur s’obstinait à me faire renoncer à lui, il s’agirait bientôt de travailler à l’oublier. Je souffrais si cruellement, que je sentis le besoin de m’imposer une distraction forcée pour échapper, ne fût-ce que quelques jours, à une recherche vaine et douloureuse de mon véritable devoir.

Je m’étais toujours refusée à visiter les sites un peu éloignés de ma demeure, parce que je ne pou-