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tranquille de Paris ; mais comme je m’y réveillai triste et désappointée ! comme j’y résumai avec douleur l’horrible voyage que je venais de faire ! Quel isolement j’avais porté en moi en traversant le fracas de cette locomotion rapide de la vapeur ! On roule comme porté par la tempête, on aborde au milieu d’une foule inconnue, on la traverse pour y échapper ; on entre, inconnue soi-même, dans une maison inconnue ; on s’y enferme, on s’y cache, on y mange seul, on s’y endort avec effroi, et si, malgré ces précautions pour rester en dehors de la vie des autres, quelque affreux chagrin vient vous étreindre, il faut se faire encore plus seul, il faut se cacher encore plus. On peut en mourir ; il faut que personne ne sache pourquoi. Qu’importe à ce tourbillon qui vous apporte vivant de vous remporter anéanti ? Si on devait du moins retrouver des êtres aimés au bout du voyage ! Moi, je revenais seule comme j’étais partie, et ce que j’avais appris en voyage, c’est que la solitude de mon cœur commençait pour durer toute la vie.

Nouville entra chez moi à midi. Il fut effrayé de ma pâleur, il ne comprenait rien à ma présence inopinée à Paris, sans ma famille. Je le trouvai également fort changé, son grand voyage avec Abel l’avait fortement éprouvé. Il semblait qu’Abel l’eût tué, lui aussi. Je lui racontai ce que je me promettais de raconter à mon père et à ma sœur ; j’étais souffrante d’une névralgie, j’étais partie