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recevoir ; je l’aurais fait tendre tout en billets de banque !

Cette voix était celle d’Abel ! Je n’en entendis pas davantage. J’étais toute vêtue, enveloppée de mon manteau et de mon voile, telle que je m’étais arrangée pour me mettre à la fenêtre. Je pris machinalement mon sac de voyage, je sortis ; je descendis les escaliers en courant, je passai devant la salle du souper, d’où sortaient en tibulant les convives, — je passai au milieu d’eux comme une flèche. Je crois qu’ils m’interpellèrent, je ne compris rien, je m’élançai dehors, j’évitai de traverser la place ; je pris la première rue qui s’ouvrait devant moi, je m’enfonçai au hasard dans cette ville brumeuse que je ne connaissais pas. Je fuyais comme si des spectres m’eussent poursuivie, je ne m’arrêtai que sur un quai au bord de la rivière ; le jour ne paraissait pas encore, je m’aperçus qu’il pleuvait. Les réverbères projetaient des clartés glauques sur les flaques d’eau. J’essayai de me ressaisir, de me demander qui j’étais et ce que je voulais.

Je voulais fuir, m’en aller loin, bien loin ; je n’aurais pas encore pu dire en quel lieu je me trouvais et ce qui m’y avait amenée. J’eus besoin de regarder mon sac de voyage, que je serrais convulsivement comme si c’eût été un objet très-précieux, pour me rappeler où j’étais. Enfin la lucidité me revint.