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On ferma tout, et je n’entendis plus que les allées et venues des domestiques servant le souper, montant et descendant les escaliers à la hâte avec un cliquetis d’ustensiles et des portes bruyamment ouvertes et fermées. J’essayai vainement de me rendormir. Cette rencontre imprévue ressemblait à un incident de roman ; mais mon roman, à moi, eût dû être intitulé Fatalité. Abel, que je croyais dans le nord de l’Europe, était en France, et il ne me l’avait pas fait savoir ! Il avait sans doute traversé Paris, et il n’avait pas dit à Nouville de m’écrire ! Il avait donc résolu de m’oublier, ou plutôt il m’avait oubliée tout simplement par la force des choses, par la nature de son caractère et de ses occupations. Maintenant il était à deux pas de moi, et nous étions plus séparés encore que par des milliers de lieues. J’étais là, moi, tremblante, cachée, épouvantée, et lui, il soupait avec de joyeux convives, avec des gens que je ne connaissais pas, que je ne connaîtrais sans doute jamais ! Moi la fiancée, la promise, je ne pouvais aller à lui ; il était dans son milieu, dans son monde, dans cet inconnu de sa destinée où je ne devais jamais pénétrer ! Je m’habillai, j’allumai une bougie ; il faisait froid, je n’y songeai guère ; perdue dans mes pensées, j’attendais le jour avec impatience, comme s’il eût dû m’apporter une solution quand je ne pouvais pas même faire un projet ! Le voir ? à quoi bon ? Devais-je chercher à renouer une chaîne dont il