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échapperait par tous les pores. Il le confierait joyeusement le soir même aux arbres du parc, Adda le lirait dans ses yeux le matin suivant, à son réveil. Elle n’aurait plus dans son arsenal assez de railleries contre moi, la réservée, la prude, l’hypocrite, vaincue et enivrée en vingt-quatre heures par un passant ; elle essayerait de me dissuader, elle me parlerait à toute heure des entraînements que l’on pouvait reprocher à Abel. elle mettrait dans mon âme l’angoisse et l’épouvante, elle y ferait entrer peut-être l’incurable poison du doute,… ou bien, exaspérée d’une résistance à laquelle je ne l’avais pas habituée, elle me quitterait et retomberait sous l’empire de son indigne mari.

J’eus peur d’elle, je sentis qu’elle me faisait peur de moi, d’Abel, de mon père, de ma destinée, de tout. Je fus vivement combattue par le désir de mettre un peu de joie dans l’âme de mon pauvre père en lui disant que j’aimais, que j’étais aimée, que mon fiancé aspirait à ne jamais nous séparer, qu’il acceptait les désastres et l’abandon complet de ma fortune en faveur d’Adda et de ses enfants. Tout cela, mon père en eût accueilli la croyance avec enthousiasme. Rien n’eût paru plus logique et plus naturel à son généreux cœur que ce beau roman de mon avenir ; mais pouvais-je y croire moi-même aveuglément ? À mesure que je rentrais en esprit dans mes préoccupations de famille, je sentais se dissiper les enivrements de mon tête-à-tête avec