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connaître, je suis devenue vieille tout d’un coup. J’ai vingt-trois ans bientôt, mais ma raison en a quarante. Je l’ai trop exercée au détriment de mon ! imagination, que j’ai réduite au silence. Mon cœur s’est imprégné de maternité ; je n’ai plus su aimer qu’en protégeant, berçant, adorant des êtres sans initiative et sans responsabilité. Je n’ai gardé qu’un ami, mon père, et, grâce à son inappréciable intimité, je n’ai pas senti le vide de mon existence. Après beaucoup de tristesse et d’effroi pour ma sœur, je me suis arrangée pour être heureuse dans la solitude. C’est un travail accompli. Serais-je capable, à présent, d’en accomplir un tout opposé, de reprendre ma personnalité, ma liberté, ma vitalité en un mot, pour me jeter dans l’existence d’un nouveau venu ? Je n’y apporterais probablement que des habitudes de mélancolie et de pusillanimité ; je ne comprendrais plus ce que j’aurais compris étant plus jeune ; je manquerais peut être, avec les personnes, de l’indulgence que je prodigue aux enfants, — car j’appelle ma sœur un enfant aussi ! — Et puis, en somme, quand ce renouvellement miraculeux de me retrouver comme à dix-huit ans s’accomplirait en moi, je ne serais pas libre pour cela. Je me suis imposé une tâche. Ce ne serait pas la peine d’avoir tant sacrifié à ma sœur dans la personne de son mari pour m’arrêter aux deux tiers de mon entreprise. À présent, je ne payerai plus les dettes de cet incorrigible dissipateur.