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à braver la mer avec eux par tous les temps, et il ne lui était jamais arrivé malheur. Elle était pour eux un objet de vénération superstitieuse. Qui eût été assez ingrat et assez ennemi de lui-même pour la trahir ne l’eût point osé.

— Admettons, me disais-je, que, comme les crimes, les aventures d’amour soient presque toujours trahies ou découvertes dans le pays qui leur sert de théâtre : que sait-on aujourd’hui du voyage que fit mademoiselle Merquem après la mort de l’amiral ? Comme cette disparition soudaine se rattache pour elle à une époque très-douloureuse, elle en parle peu, elle semble avoir eu à peine conscience de ce voyage, et personne n’a sans doute jamais osé insister pour le lui faire raconter ; mais enfin elle a été absente dix-huit mois, sans qu’on ait bien su où elle était ; en dix-huit mois peut se résumer toute une vie de passion et de désastre.

Pour conclure, j’admis la possibilité d’un amour que la volonté du grand-père et les prétentions de Montroger auraient refoulé dans le cœur de Célie, et dont le voyage eût été ensuite l’expansion et le dénoûment malheureux sans doute, et dont le reste de sa vie peut-être portait le deuil et avait enseveli la trace.

La conséquence de tout ceci pour mon compte personnel fut que la grande voisine, ayant pu aimer, pouvait aimer encore. Elle n’était pas dévote, aucun confesseur ne pesait sur sa pensée. Bellac me paraissait peu propre au rôle de directeur de conscience. Il s’inquiétait bien plus de ce qui se passait dans la planète Mars que des révolutions morales à observer dans les cœurs humains. Il était aimable et bon, dévoué, instruit, inté-