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existe, je n’ai pas de motif de jalousie, je n’en ai jamais eu, et cette torture m’a été épargnée. Quelquefois, quand je hasarde, en feignant un ton enjoué que mon âme désavoue, un léger reproche indirect sur ma vie de désenchantement et de regret, Célie, du même ton, me fait entendre que mon amour-propre a été ménagé, et qu’aucun rival heureux ne peut se rire de moi. Je me laisse apaiser comme un grand enfant, et je reconnais aussi qu’en rentrant dans la bonne voie, en faisant le bien, en consacrant mon activité et ma fortune à servir le progrès de la civilisation, j’ai trouvé le calme et le courage. Oui, mademoiselle Merquem m’a sauvé de moi-même. Sa persuasion adroite, son zèle ingénieux et discret m’ont éclairé, instruit, ranimé et purifié. J’ambitionne à présent le titre d’homme de bien pour le mettre avec désintéressement à ses pieds. Je suis donc aussi heureux que peut l’être un homme inconsolé et inconsolable. »

Le récit que je viens de résumer m’avait d’abord paru clair et concluant ; j’étais persuadé de la générosité du sacrifice que mademoiselle Merquem avait fait à l’amitié : je trouvais cela étrange et charmant, et il ne me vint pas à l’esprit de troubler Montroger dans l’espèce de quiétude attendrie où il était tombé et où il paraissait devoir ensevelir tout doucement les restes à peu près consumés de sa longue passion.

En y réfléchissant, le fait m’apparut sous un autre jour. Seul le soir, en errant dans la campagne, je repassai cous les détails de ce récit ingénu, et je fus frappé des objections qui me vinrent à l’esprit. Montroger, ce modèle des amants, ce miroir de chevalerie, avait un fond de positivisme et de fatuité dont il ne se