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n’étais pas taillé pour ce rôle de troubadour et je n’avais pas la rouerie nécessaire à cette entreprise de don Juan. J’y ferais mille maladresses. Ma loyauté naturelle remporterait sur mes plans de séduction. La femme que mes qualités sérieuses et ma généreuse conduite n’avaient pu toucher se rirait de moi en me voyant déguisé en personnage de comédie. Mademoiselle Merquem était une tête extravagante et un cœur sec. Il fallait l’oublier une bonne fois, la dédaigner. Je serais bien vengé, car, en quittant son pays et ses amis pour aller respirer l’air de la liberté avec des confidents subalternes, elle jouait avec sa réputation et s’exposait à devenir la dupe de quelque aventurier épris de sa fortune.

» Enfin, mon cher Armand, je me laissai encore persuader de renoncer à elle, et, la vie de garçon aidant, je me crus cette fois bien délivré de ma folle passion.

» Cette mauvaise vie ne dura pas longtemps, la mort de mon père me ramena au pays au bout d’une année d’ivresse et de sottises. Ma mère était seule désormais. Je lui consacrai mon existence. Elle désirait me marier. Je fis mon possible pour devenir amoureux des jeunes filles qu’elle me désignait ; mais aucune ne me plut. J’avais tué dans la débauche la notion de l’amour pur. Je m’ennuyais mortellement en province. Ma vie extérieure était immolée au devoir, mon cœur était mort, et aucune joie intérieure ne me consolait de mon sacrifice.

» Je végétais ainsi depuis six ou huit mois, chassant avec rage, éteignant les feux de ma jeunesse dans des aventures de château et de chaumière, lorsque j’appris le retour de mademoiselle Merquem.