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au bord de la paupière du pauvre patito, émotion qui ne l’empêche pourtant pas de déguster religieusement son sorbet. Tendre et sensuel, enthousiaste et positif, il se révéla entièrement à moi en trempant avec avidité sa moustache noire dans cette coupe friande, tandis que son regard éperdu semblait dire : « Barbare ! c’est bien décela qu’il s’agit ! »

On se sépara bourgeoisement à minuit. Les voitures avaient le mot d’ordre à l’avance. Tout était prêt dans la cour quand nous descendîmes le perron. Ces départs sont charmants par une belle nuit d’été, à la campagne. On se dit adieu, on cause à la portière ou le pied à l’étrier, comme si chacun entreprenait un voyage. Les chevaux s’impatientent, les chiens aboient, les coqs chantent et prennent la lumière des flambeaux pour celle de l’aurore. On franchit la grille en se jetant des rires et des paroles sans suite, et puis on se disperse dans l’ombre, et chaque équipage fuit en emportant ses deux étoiles, qui semblent s’éteindre et se rallumer en traversant les buissons noirs.

— Eh bien, que penses-tu d’elle ? me dit Erneste au retour.

— Oui, oui, réponds ! ajouta ma tante. J’ai prédit que tu l’aimerais, ma grande voisine : me suis-je trompée ?

— Non, ma tante, vous avez prophétisé. J’adore cette grande personne. J’en suis épris, je lui appartiens à jamais.

— Comme tu y vas ! ce n’est pas sérieux, j’imagine ?

— C’est sérieux comme le sentiment le plus digne et le plus chaste. Je ne crois pas que mademoiselle Merquem puisse en inspirer d’autre. Rien dans cette nature n’appelle la passion et ne semble capable de