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il a rêvé cela ; mais je suis bien résolue à le guérir, fallût-il attendre davantage.

Je n’eus pas la force de répondre. Un manteau de plomb tombait sur mes épaules. Montroger sans conscience et sans caractère me paraissait incurable L’espoir s’enfuyait. Célie était pâle et comme brisée. Je ne l’avais jamais vue ainsi. Il me la tuait, ce misérable, et ma passion s’était engagée sur un chemin d’idéal si grandiose, que je ne pouvais plus redescendre à l’amour égoïste sans déchoir aux yeux de mon idole.

Je m’enfuis dans la campagne pour combattre seul les furies qui me dévoraient. Ah ! que le positif Stéphen et l’obstiné Montroger eussent eu raison contre moi, s’ils m’eussent vu en proie à cette torture ! Ils m’eussent dit que l’amour sublime est un rêve, puisque ceux qui le logent en leur âme et se font une science et une religion de l’y garder pur de tout alliage étaient, à un moment donné, plus lâches et plus bouleversés que les sensualistes. Je me demandai si le culte exalté que j’avais voué à Célie n’était pas l’ouvrage de mon orgueil, et si, vanité pour vanité, celle de Montroger n’était pas plus humaine et plus digne d’intérêt que la mienne.

Ceux qui ont aimé me pardonneront ces défaillances. L’amour a pour complément la passion, qui semble pourtant le combattre ; c’est la soif ardente du blessé qui aspire à la vie et qui ne peut s’abstenir de boire l’eau qui le tue.

Je revenais brisé vers le village quand je vis venir sur le sentier, Montroger avec Stéphen, mademoiselle Merquem et Bellac. On lui avait conseillé de prendre l’air, et il s’appuyait sur le bras de Stéphen et sur une