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losophiques que l’on a su rendre agréables, et on a tourné mon esprit vers l’observation raisonnée des faits sociaux, par conséquent vers l’étude de la nature humaine. J’ai compris, j’ai vu et j’ai senti que la plupart d’entre nous aujourd’hui sont privés de développement parce qu’ils croient devoir se priver d’expansion. C’est une mode et une nécessité d’être ainsi. En nous donnant la liberté morale par principe, et en nous jetant dans un monde où il faut lutter contre la tyrannie morale qui régne de fait, on nous a rendus graves jusqu’au stoïcisme ou tristes jusqu’au scepticisme, selon que notre tempérament nous portait vers une de ces nuances sombres. Les choses du cœur, à moins d’un milieu exceptionnel, comme celui où j’ai eu le bonheur d’éclore, on ne nous les apprend plus. Personne ne nous enseigne ce que les anciens appelaient la vertu, c’est-à-dire la culture de l’âme, l’amour de la patrie, la droiture du caractère et l’amitié. Quand nous sommes riches, on nous pousse hors du nid en nous disant : « Amuse-toi, satisfais ta vanité, brille et ne te ruine pas. » Quand nous sommes pauvres, on nous jette dehors en nous disant : « Va devant toi et fais comme tu pourras ; arrange-toi pour ne pas mourir de faim et pour ne pas te brouiller avec la loi. »

— C’est vrai, dit Stéphen. On ne m’a jamais donné d’autre bénédiction que celle-là, avec accompagnement de coups de pied dans le dos pour me faire partir plus vite. Vous êtes né coiffé, vous ; mais, voyons, qu’est-ce qu’elle vous a appris pour être heureux, votre culture de l’âme ?

— Elle m’a appris à ne pas croire qu’on puisse être heureux en ne cultivant et en ne servant que soi-même. Elle m’a fait connaître le besoin des grandes affections