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nuierait ? Ce que j’en ai fait, c’est pour ne pas mettre de conditions à mon obéissance envers le petit amiral ; mais, puisqu’elle vous en donne la permission et que ça peut vous soulager, allez… Je ne suis peut-être pas aussi bûche que j’en ai l’air. Je comprends très-bien qu’on aime une femme qui est en même temps une jolie maîtresse, une vraie artiste et un bon camarade. Si j’avais rencontré cela dans ma vie, je ne serais point le porc-épic que je suis devenu ; mais il ne faut pas me croire jaloux du bonheur des autres hommes, je ne le suis pas plus que des succès des autres artistes. Les uns ont de la chance, les autres n’en ont pas ; ça dépend du numéro qu’on tire en venant au monde. Vous avez eu le mille, et, moi, j’ai eu zéro. Qu’est-ce que ça fait, si je ne m’en plains pas ?

— Mon cher ami, lui dis-je, je n’ai pas besoin d’expansion. Le bonheur est discret et recueilli ; vous m’avez mis à l’aise en me disant de me taire, et je vous sais gré de votre délicatesse. De ce moment, j’ai senti que je vous aimais réellement, et, si je vous recherche, ce n’est ni pour vous amuser ni pour me distraire. Vous n’avez pas besoin qu’on vous amuse, et je ne m’ennuie pas ; mais j’ai du plaisir à être avec vous, et, à moins que cela ne vous gêne…

— Non pas ! s’écria-t-il avec une spontanéité qui éclaira d’un sourire son masque de pierre. Pas si bête !… Du moment que le cœur y est… Je vais vous dire, mon petit… Je me figurais que je vous avais un peu servi de prétexte pour vos affaires de cœur…

— C’est vrai, Stéphen. Je ne veux pas nier, ce serait lâche ; mais il n’y a rien eu de prémédité. Je ne vous savais pas à la Canielle quand je vous ai rencontré. J’ai saisi l’occasion aux cheveux. Faites-moi pourtant