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et incomplète présente tous les contrastes. Il est bon, humain et tendre, en même temps qu’il est vain, égoïste et vindicatif. Oui, tout cela est en lui. C’est une forte nature qui porte les bons et les mauvais instincts entassés confusément dans une cervelle où manque la clef de voûte du raisonnement. Il peut être chevaleresque ou absurde, méchant ou généreux. Dieu sait ce qu’il sera !

— Et vous ne voulez pas que je le tue ?

— Si vous le tuez, nous ne pourrons jamais nous revoir. Préférez-vous votre haine à votre amour ?

— Eh bien, il me tuera, et ma destinée sera accomplie !

— Et la mienne ? vous ne vous en souciez pas ?

— La vôtre ! rien n’y sera changé. Mon amour ne vous aura pas profanée, ce sera un sacrifice de plus que vous aurez fait à l’amitié, et votre gloire n’en souffrira pas.

— Ah çà ! s’écria-t-elle avec un mouvement de colère qui la fit resplendir de la tête aux pieds, comment donc me parlez-vous ? Vous ne voyez donc pas que je vous aime ?

Ce mot magique chassa tous les fantômes qui m’obsédaient, et l’image de Montroger se dissipa comme un atome dans le rayonnement du soleil. Je le voyais bien, je le savais bien, qu’elle m’aimait ! J’aurais attendu avec confiance et avec terreur qu’elle osât me l’avouer ; mais le lui entendre proclamer avec énergie, et la voir se transfigurer, devenir femme sous le choc électrique de la passion, c’était de quoi devenir fou. Je pleurai de bonheur à ses genoux. Elle était comme foudroyée de sa défaite, et elle me reprocha de l’avoir précipitée plus vite qu’elle ne voulait.